Le biomimétisme est la science qui imite les organismes et les structures présents dans la nature, et il est en passe de devenir une nouvelle branche du savoir, tout comme la mécanique, la physique et, évidemment, la chimie ! Ce courant est né à la suite de l’étonnante capacité des espèces animales et végétales à construire ou à utiliser des systèmes que l’être humain n’aurait jamais pu concevoir sans l’aide de ces exemples. On a juste à penser à l’utilisation de structures en nids d’abeilles pour créer des matériaux à la fois résistants et légers, à la bande Velcro, qui n’a plus besoin de présentation, ou encore à l’étonnante solidité des fils de toile d’araignée, pourtant tissés avec une rapidité étonnante. Si la recherche moderne tire avantage aujourd’hui de ces inventions uniques, nous gagnons à nous en inspirer.
L’ÊTRE HUMAIN : AU SOMMET D’UNE ÉCHELLE AUX BARREAUX FRAGILES
L’homme, qui s’est longtemps considéré au sommet de l’échelle de l’évolution, a eu beaucoup de difficultés à admettre que d’autres créatures (ou créations), souvent considérées comme primitives, puissent lui être d’une quelconque inspiration. On peut même affirmer qu’à l’issue de la Deuxième Guerre mondiale, les scientifiques comme les chimistes pensaient que tout ce qui était tiré de la nature pouvait être mieux fait par l’homme, incluant la nourriture. Cette arrogance a été freinée dans les années 1970-1990, l’euphorie des premières heures étant assombrie par de nombreux échecs, comme celui de l’ajout systématique de colorants et d’arômes artificiels dans les aliments. Aujourd’hui, le biomimétisme est devenu une science qui consiste à imiter les systèmes quasi parfaits qui existent depuis la naissance de la Terre.
BIOMIMÉTISME : NOUVELLE PROPHÉTIE OU VÉRITABLE SCIENCE?
L’auteure et scientifique américaine Janine M. Benyus est considérée comme la première à avoir mis l’accent sur le besoin fondamental d’imiter la nature pour bénéficier de sesprouesses technologiques. Elle a consigné tout cela dans un livre intitulé Biomimicry: Innovation Inspired by Nature. L’idée essentielle de cet ouvrage est de montrer que la nature est un guide et que les nombreux chercheurs qui s’en sont inspirés ont réussi à accélérer leurs propres recherches avec succès. Autre avantage, en se servant d’exemples tirés de la nature, l’historique de leur comportement et de leur pérennité n’est plus à démontrer, le savoir étant toujours millénaire. À ce jeu, les industries, tous comme les sciences sociales et les communications, ont été plus promptes à puiser dans cette source d’inspiration que les scientifiques. La palme revient cependant aux militaires, qui ont compris très tôt que la nature pouvait beaucoup leur apprendre, cette dernière ayant souvent les mêmes préoccupations, notamment comment optimiser l’autonomie énergétique, détecter un ennemi ou une proie, se protéger grâce au camouflage, résister à des climats extrêmes, etc.
PLAGIER LA NATURE : ENFIN UN PLAGIAT À ENCOURAGER
Au-delà de la simple imitation, les scientifiques font aussi plus d’efforts pour étudier comment fonctionnent certaines structures naturelles dans l’espoir d’en améliorer leur compréhension pour mieux les copier. Par exemple, le pigeon voyageur reste encore une énigme malgré des années d’études, et aucune technologie de transmission moderne ne peut rivaliser avec ce volatile. En effet, il gère son énergie, il possède son propre GPS et transmet ainsi les messages tout en déjouant les pièges tendus par ses prédateurs ! D’ailleurs, pour l’anecdote, même les armées les plus sophistiquées continuent à entretenir des brigades de pigeons, jusqu’au jour où peut-être on pourra en fabriquer un substitut. Pour l’instant, la bande Velcro reste une des plus belles applications à grande échelle tirée de la nature, même s’il en y a bien d’autres, pas aussi connues mais tout aussi intéressantes.
EMPRUNTER OU IMITER : TELLE EST LA QUESTION
Soit on utilise notre milieu comme source d’inspiration, soit on se sert directement de ses réalisations comme technologies. À ce titre, citons la phytoremédiation, où la capacité de certaines plantes à absorber les polluants est mise à profit pour traiter les sols contaminés. Dans ce cas, une propriété innée est directement exploitée. Sur un plan plus domestique, l’usage de peaux de phoque pour contrôler la glisse des skis de randonnées ou pour se faire un beau manteau en serait une autre. Cette approche directe peut soulever des polémiques, comme le susciterait notre dernier exemple. Dans ce texte, on s’attardera plutôt sur l’aspect inspiration plutôt qu’exploitation directe.
Toutefois, peu importe le regard que l’on y jette, il est frappant de constater que la nature crée toujours des produits exceptionnels sans avoir recours à des hautes pressions, à de hautes températures ou à des solvants toxiques, contrairement aux humains. Les céramiques en sont un bel exemple. Pour les fabriquer, il n’est pas rare d’avoir recours à des températures supérieures à 1 500 °C, alors que la moule construit sa coquille de manière parfaite à seulement 4 °C.
C’est d’ailleurs en étudiant la structure des coquillages que Aksay développa des composites en céramique très solides et très résistants à base d’aluminium et de carbure de bore, qui servent aujourd’hui de blindages de chars d’assaut. Autre caractéristique intéressante, le milieu naturel a appris à tout faire avec un nombre limité de composés de base. On évalue à cinq le nombre de polymères requis par le milieu naturel pour construire le monde qui nous entoure.
Autre particularité, les systèmes naturels sont capables de s’auto-réparer, alors que la science peine à le faire. Il y a quand même eu de grands progrès dans le domaine des polymères et cela est bien documenté dans la revue publiée par R. S. Trask. Dans le même ordre d’idées, Arkema a présenté son polymère Reverlink®, qui se recolle par simple contact, sans chauffage ni chimie, en mettant à profit la propriété qu’ont les liaisons hydrogènes de se recombiner sans intervention externe.
Y A-T-IL ENCORE DU TRAVAIL À FAIRE?
La réponse est sans aucun doute oui, car même si depuis des années, on étudie les sonars des chauves-souris et des dauphins, ils ont été reproduits (ou imités) avec plus ou moins de réussite. Le nautile, ce mollusque existant depuis plus de 100 millions d’années, a servi de modèle pour concevoir les premiers sous-marins, mais encore aujourd’hui, il fonctionne mieux que les bâtiments les plus modernes. Sa coquille lui assure des profondeurs de plongée imbattables et il n’a pas besoin de transporter d’air pour purger ses ballasts pour refaire surface, car il est capable de le produire par voie biochimique. Il est aussi doté d’un turboréacteur naturel dont le fonctionnement silencieux et indépendant des variations de pression rend jaloux les sous-mariniers !
De la même façon, on cherche toujours à imiter la trompe de l’éléphant. Celle-ci possède au-delà de 50 000 muscles, et par un simple changement d’humeur de l’animal, elle peut faire office de puissant crochet ou d’un simple pommeau de douche. Les êtres vivants, en plus de posséder des dons enviables, sont aussi capables de maîtriser l’architecture de leur environnement. Par exemple, le chien de prairie, en terminant ses galeries par des trous surmontés de cheminées de terre plus ou moins hautes, s’assure que l’air de ses nombreux tunnels soit constamment renouvelé. Il a aussi le souci de bien orienter les pentes de ses terriers pour éviter les inondations de son logis. Aussi, l’observation de ce qui nous est offert devrait nous inspirer et ceci au-delà du cloisonnement des disciplines. Par exemple, les ingénieurs mécaniciens du Shinkansen (le train à grande vitesse japonais) ont réduit les problèmes de turbulence à l’entrée des tunnels en dessinant l’avant du train en forme de bec de martinpêcheur. En effet, la forme de son bec permet à cet oiseau de pénétrer dans un milieu plus dense sans perdre de vitesse. Ainsi, cette solution issue du monde animal résout un concept mécanique sophistiqué.
LE MOT DE LA FIN
Il reste que malgré les nombreuses études et recherches, nos imitations de systèmes naturels se résument souvent à un bricolage grossier par rapport à l’original. Pour l’homme, la construction souterraine reste un gros casse-tête.
Personne n’est encore capable de jouer au caméléon, on ne peut pas encore produire des câbles à la vitesse de celle de l’araignée et on ne comprend toujours pas comment fait le colibri pour traverser le golfe du Mexique avec trois grammes de carburant. Même le meilleur manteau d’hiver peine à nous assurer un bon confort à -35 °C, alors que le bison commence seulement à trouver le fond de l’air un peu frais dans les mêmes conditions !