Une industrie sans déchets ? C’est le credo du cradle to cradle, fondé sur le recyclage, qui remet à plat la conception et la fabrication de vos produits. Concevoir un siège de bureau ou un T-shirt dénués de toute substance nocive et les recycler pour qu’ils puissent redevenir… un nouveau siège de bureau ou un nouveau T-shirt et ainsi de suite, à l’infini. En somme, inventer une industrie dans laquelle le déchet n’existe pas. Tel est le principe du cradle to cradle (ou C2C, littéralement « du berceau au berceau »). Ce concept développé dans les années 2000 a depuis été adopté par plusieurs secteurs industriels. Il a même donné naissance à une certification. Tour d’horizon pour appréhender au mieux cette démarche complexe.
1. REPRENDRE TOUT À ZÉRO
La philosophie est simple : contrôler davantage ou être moins mauvais n’est pas suffisant, il faut être bon. « Il ne s’agit pas de réduire les consommations d’énergie ou de déchets, mais de faire des produits différemment », insiste Anne-Christine Ayed, la vice-présidente recherche, innovation et environnement du spécialiste des revêtements de sols Tarkett. Cette entreprise française fut la première à obtenir la certification C2C pour trois gammes de parquets contrecollés. Afin de réussir cette remise à plat, une solution s’impose : le PDG doit être aux commandes, surtout quand il existe des résistances au sein de l’entreprise. « Cette démarche doit être celle du top management, car elle touche à la stratégie globale », poursuit Anne-Christine Ayed. Et quand elle est menée à bien, elle paie. Ainsi, alors que ses principaux concurrents buvaient la tasse en 2009, Desso, fabricant néerlandais de moquettes et pionnier du C2C, gagnait des parts de marché et affichait un bénéfice net en hausse.
2. NE PAS TRAVAILLER SEUL
La démarche est très exigeante et très cadrée. Un produit doit répondre à différents critères. Il faut non seulement bannir les composants toxiques, mais aussi éco-concevoir les produits afin de les désassembler facilement, trouver des filières de recyclage… La collaboration est souvent la clé de la réussite. « Il est difficile de faire du C2C seul dans son coin. Les entreprises qui ont réussi l’ont fait en partenariat avec leurs fournisseurs et leurs sous-traitants », avance David Amar, conseiller au cabinet Integral Vision. Par ailleurs, l’Agence pour l’encouragement à la protection de l’environnement (EPEA), basée à Hambourg et créée par Michael Braungart, le cofondateur du C2C avec William McDonough, peut être un partenaire précieux. Cette dernière fournit notamment des bases de données sur des milliers de substances ou matériaux indésirables et sur leurs interactions. Les fournisseurs ne sont en effet pas forcément prompts à divulguer ce type d’informations. « Ils se montrent souvent plus enclins à les donner à l’EPEA, sous couvert de confidentialité. C’est ensuite l’agence qui réalise des bases de données », explique Anne-Christine Ayed chez Tarkett.
3. PRENDRE LA MESURE DES INVESTISSEMENTS
Le C2C peut nécessiter de lourds investissements. « Prendre un produit, le décortiquer au niveau de chaque fournisseur représente des analyses de dizaines de milliers d’euros », précise Hélène Babock, la directrice du développement durable de Steelcase, fabricant américain de mobilier de bureau qui enregistre plus de 60 certifications C2C. Il faut aussi bien souvent procéder à de profonds changements. Ainsi, en supprimant le PVC dans tous ses produits en 2007 pour le remplacer par du polypropylène, Steelcase a dû revoir toute la conception, le processus de fabrication et les approvisionnements. « Dans certains cas, nous avons préféré amputer nos marges et ne pas répercuter le surcoût lié à un changement de matériau : les clients ne sont pas encore toujours prêts à payer plus cher », constate Hélène Babock. Par ailleurs, la démarche implique de former en masse. « Les 200 top managers de l’entreprise ont suivi une formation de quatre jours en Allemagne au siège de l’EPEA.Un savoir qu’ils ont transmis au reste de l’entreprise, soit 7 000 personnes : c’est un investissement important », précise Kurt Ghijsbrecht, le directeur France de Van Gansewinkel, spécialiste néerlandais de la collecte des déchets certifié C2C pour un papier de bureau.
4. RAISONNER SUR LE LONG TERME
La route du C2C est semée d'embûches. Tout d’abord parce qu’il n’est pas toujours évident, dans la fabrication, de substituer des composants par d’autres. Mais aussi parce que les alliages de matériaux ou de métaux ne sont pas toujours simples à séparer. « Nous souhaiterions introduire plus de verre recyclé dans la production de vitres, mais nous nous heurtons à la difficulté d’obtenir du calcin de bonne qualité », avance Guy Van Marcke de Lummen, le directeur Europe en charge de tous les projets environnementaux du fabricant de verre plat AGC Europe. Autre limite dans la mise en oeuvre du C2C : il s’avère parfois complexe de récupérer les produits pour les transformer en de nouveaux. Ainsi, les réglementations actuelles empêchent Tarkett de récupérer du linoleum, par exemple en Allemagne, pour l’envoyer dans son usine italienne afin de le réintroduire dans le cycle de production. Pour remédier à ce problème, Tarkett cherche pour l’instant à identifier des filières locales en partenariat avec des recycleurs. Desso rencontre les mêmes difficultés, il ne peut pas, aujourd’hui, collecter les moquettes contenant des sous-couches de PVC car la règlementation européenne Reach bloque leur recyclage.
Article paru dans « L’Usine Nouvelle«