Depuis un an, plus de 150 entreprises testent l’affichage environnemental des produits. Trois industriels spécialisés dans l’ameublement et la chaussure reviennent sur leur propre expérience et les mutations générées tout au long de la supply chain
Trois industriels, réunis par Hop-Cube lors d’une matinée d’échange le 14 juin, sont revenus sur leur propre expérience de l’affichage des produits. Tous ont souligné l’impact de cette démarche dans leurs relations avec les fournisseurs. Pour certains, l’affichage a déjà aboutit à des améliorations de leur chaîne de production.
Ingérence pour les fournisseurs ?
L’affichage environnemental des produits repose sur des analyses de cycle de vie (ACV). Pour cela, les industriels doivent obtenir des données tout au long de la chaîne de production.
La marque Kickers, du groupe Royer, a réalisé des ACV sur trois modèles de chaîne d’approvisionnement, depuis la tannerie jusqu’à la mise en déchet. Pour des chaussures, les matières et fabrications sont lointaines, il a donc fallu remonter toute la chaîne de fournisseurs, non sans difficultés : « En Inde et en Chine, nos fournisseurs maîtrisaient généralement bien leur process et avaient des données assez précises. En revanche, en Afrique du Nord, nous avons eu davantage de difficultés. Culturellement, c’était assez mal vécu que nous mettions notre nez dans les usines. Il faut se déplacer et expliquer, faire beaucoup de pédagogie, raconte Benjamin Chapuis, manager technique de la marque, ajoutant : Pour les produits les moins chers, c’est encore plus compliqué d’obtenir des données, il y a très peu de connaissances des fournisseurs. Nous rencontrons la même problématique avec Reach. D’ailleurs, quelques fournisseurs nous ont indiqué qu’ils ne voulaient plus travailler avec nous : après Reach, la gestion des déchets, nous arrivions avec l’affichage environnemental, c’était trop de contraintes pour eux ! Ils préfèrent travailler pour des marchés moins exigeants (Amérique latine, Amérique du Nord…) ». Kickers a donc été obligé de revoir une partie de son panel de fournisseurs.
Jennifer Picard, chargée de mission développement durable pour Maisons du Monde, confirme : « C’est parfois perçu comme de l’ingérence. Pour nous, c’était moins difficile car nous détenons 50 % des parts de l’usine implantée en Chine. Nous avons évoqué le contexte réglementaire français à venir pour obtenir les informations environnementales et avons mis en avant une démarche gagnant-gagnant qui aboutit, par l’amélioration de la conception des produits, à des économies d’énergie, d’eau etc.. En France, notre fournisseur s’est montré plus coopératif parce qu’il trouve un intérêt à se positionner sur l’écoconception ».
Même problématique pour le groupe Cauval Industrie : « Nous avons constaté chez nos fournisseurs de nombreuses réticences à produire des informations : on touche ici aux secrets de fabrication. Et au-delà de cette problématique, nous nous sommes rendu compte qu’ils n’étaient pas toujours capables de nous fournir des données sur leurs propres fournisseurs. Or, c’est la provenance des matières premières qui a le plus d’impact environnemental pour nos produits », indique Jacques Bouquet, directeur des opérations réglementaires du groupe. Mais il reste positif : « Il y a une grosse pédagogie à faire mais ça avance. Ce serait plus simple pour nous si ce n’était pas une démarche franco-française mais européenne ».
La Commission européenne travaille actuellement sur une empreinte environnementale des produits et a mis en consultation, au premier trimestre 2012, une méthodologie de calcul de cette empreinte, élaborée par le JRC (Joint research center). Celle-ci, comme en France, se base sur une analyse du cycle de vie et une approche multicritères des produits. Un guide méthodologique devrait être publié d’ici la fin de l’année.
Les industriels attendent aussi avec impatience la base de données publique d’ACV de l’Ademe, qui a pris beaucoup de retard. Celle-ci devrait fournir des données génériques lorsque les données réelles n’existent pas pour de nombreux produits et matières.
De premières évolutions sur la conception des produits
Malgré les difficultés, cette nouvelle transparence sur la qualité environnementale des produits a permis de faire évoluer la conception de certains produits. Chez Maisons du Monde par exemple, après la réalisation d’un bilan carbone de ses activités, l’entreprise a pris conscience qu’elle pouvait réduire de 20 % son impact environnemental. Pour commencer, l’entreprise a revu totalement la fabrication d’un canapé : « Ce produit présentait un double avantage pour nous : c’est un de nos best seller en magasin et c’est un produit assez complexe. Après neuf mois de travail avec nos fournisseurs, la nouvelle version du canapé éco-conçu a été commercialisée », explique Jennifer Picard. Grand changement : la production du canapé a été relocalisée en France. Pour des raisons environnementales, mais pas seulement : des problèmes de qualité et les frais de transport pesaient sur la rentabilité du produit, alors qu’une production locale génère des gains sur les délais de fabrication et de transport. Désormais, un tiers de la production de canapés du groupe a été transféré dans l’usine française et l’entreprise souhaite éco-concevoir d’autres produits de sa gamme. « Nous accompagnons aussi notre fournisseur chinois dans ce sens. Il s’agit notamment de trouver localement des matériaux de substitution, de préférence recyclés ».
Chez Kickers, la réalisation d’ACV a également eu des impacts sur la production : « Cette démarche est un bon moyen d’accéder à la qualité. Par exemple, dans le travail du cuir, une bonne coupe réalise entre 5 et 10 % de pertes. Nous avons constaté que certaines usines affichaient 22 % de pertes ! Travailler sur ce point nous permettra de faire 10 % d’économie sur l’achat de cuir « , observe Benjamin Chapuis. Pour un modèle de chaussures, la méthode de travail du cuir a changé : « Le cuir n’est plus tanné au chrome, mais au titane, ce qui génère moins d’impacts sur l’environnement. Le produit est désormais fabriqué au Portugal dans une usine qui fait de la cogénération ». Si cette nouvelle méthode de travail du cuir n’est pas généralisable à l’ensemble des modèles de la marque, l’entreprise travaille sur d’autres leviers : « Dans le cycle de vie de nos produits, c’est la production qui est la plus impactante et notamment le mix énergétique des pays de fabrication. En Inde, nous aidons nos fournisseurs à mettre en place des panneaux solaires, pour qu’à terme, les usines produisent leur propre électricité ».
Source : actu-environnement